Le futur mort et les suspects (personnalités...)

Arielle, l’aide-soignante, interprétée par Doris Braun et Corinne Peychou :

45 ans. Au premier acte, elle semble ne porter aucun intérêt à ses semblables. Elle manipule le ministre comme s’il était un objet. Elle est préoccupée par son image (elle peut se regarder souvent dans un petit miroir) cherchant à paraître la plus jeune possible, elle est fardée et porte des bijoux de pacotille, notamment des bagues (proscrites chez les soignants pour raison d’hygiène).
Elle est devenue aide-soignante par hasard, parce qu’elle avait besoin de travailler et qu’il y avait de la demande dans ce secteur d’activité.
Elle aime rire et se distraire ; peut-être veut-elle vivre sa vie le plus rapidement possible et sans trop y penser ? Elle ne se pose pas de questions et fait ce qu’on lui demande.
Ses qualités essentielles sont la spontanéité et la simplicité et son indifférence n’est qu’apparente, ainsi qu’on le découvrira au troisième acte. En se posant sur une chaise à côté du ministre sans rien faire d’autre que d’être là, elle ouvre un espace de calme et de liberté qui aidera le ministre à s’apaiser, à se centrer sur ce qu’il a besoin de faire pour lui et à accepter. Ce sont souvent ceux qu’on qualifie de « petites gens » qui comptent le plus pour les jeunes enfants et les personnes en fin de vie. Le vrai thérapeute est souvent invisible : il ou elle permet seulement au potentiel de fructifier.

 

 

Annabelle, l’infirmière, interprétée par Christine Cook :

 

70 ans, blasée, proche du burn-out, cynique, comportement paradoxal. Elle voit la faiblesse du ministre et le trouve attachant. Elle souhaite l’aider, le sauver même d’une agonie longue et douloureuse. Elle est dans la toute-puissance du soignant qui croit qu’elle sait et qu’elle a les moyens de faire ce qui est bien pour l’autre. Son désir de voir le ministre autrement que dans sa situation actuelle de mutique souffrant la pousse à lui « vendre » des choses qu’elle imagine valables pour lui (il devrait se confier, se préparer à sa mort, se calmer, accepter les massages etc…) En fait elle projette sa propre mort sur lui : elle voudrait qu’il soit comme elle aimerait être elle-même au moment de sa mort.
Son histoire : à 18 ans, elle a débuté sa vie professionnelle par un emploi de vendeuse dans une petite boutique de prêt-à-porter féminin. Insatisfaite de ce premier travail, lasse des exigences d’une clientèle essentiellement préoccupée par son image et après une courte période de chômage, elle a été embauchée à l’hôpital. La formation professionnelle lui a permis de gravir les échelons et de devenir infirmière. Longtemps passionnée par le métier de soignante, elle s’y est entièrement consacrée, compensant ainsi une vie personnelle pauvre et décevante. Elle a vécu pendant quelques années avec un homme qui l’a finalement quittée pour une autre plus disponible. Cet échec l’a amenée à s’investir encore plus dans son travail et elle s’est spécialisée en gérontologie.   Petit à petit, son enthousiasme et sa motivation pour son travail qu’elle vivait comme un sacerdoce (elle proclamait que « vocation et abnégation sont les deux mamelles de l’infirmière ! ») ont fait place à l’usure et à l’exaspération.
Elle sait aujourd’hui qu’elle a « oublié » de prendre soin d’elle-même et qu’elle s’est perdue dans ses relations avec les autres. Elle s’est créée une carapace contre sa propre souffrance, ce qui la rend fermée à la souffrance de ses patients et la conduit à « jouer » son rôle de soignante en attendant la première occasion pour fuir.

 

 

La cousine, interprétée par Claire Duhoux :

58 ans. Sous son apparence d’épouse modèle et de mère dévouée, la révolte gronde. Elle a longtemps joui de son rôle de sacrifiée. On la croyait soumise à son mari, modeste et courageuse. En fait elle tenait secrètement les rênes de sa petite famille, assouvissant ainsi son besoin de pouvoir. Jusqu’ici elle n’a existé qu’à travers l’autre. Maintenant elle cherche la confrontation.
Au premier acte, elle se sert du ministre comme d’un médiateur muet, elle lui parle et lui fait part de ses doléances qui sont en fait adressées à son mari (comme Raimu dans « la Femme du Boulanger » se sert du chat Pomponnette pour adresser un message fort à sa femme ou bien comme dans « Le Chat » avec Simone Signoret et Yves Montand).
Sa passion : la cuisine et tout particulièrement la pâtisserie. Elle aime régaler son entourage grâce à ses recettes inventives. Malheureusement son mari, s’il aime la bonne chère, ne la félicite guère. Les enfants qui appréciaient son talent de pâtissière ne sont plus là. Et elle n’ose pas (encore) inviter les amis qui sauraient encourager sa créativité culinaire.

 

 

Le cousin, interprété par Antoine Guijarro :

 

60 ans, ouvrier mécanicien chez Renault, à la retraite depuis 6 mois, marié depuis 30 ans, 3 enfants aujourd’hui autonomes, vit avec son épouse dans un appartement en banlieue.
Il gagnait le SMIG et s’en satisfaisait, bien que sa paie combinée aux allocations familiales ne suffisait pas à faire vivre sa famille. Poussé par sa femme, il a autrefois demandé à son cousin d’intervenir en vue qu’il obtienne un emploi mieux rémunéré. Hippolyte (à l’époque chef de cabinet du ministre des finances) arguant de la moralité et de la probité inhérents à son statut et se devant de montrer l’exemple a refusé à son grand regret, disait-il, d’accorder un passe-droit à son cousin. Du coup, la cousine a du se résoudre à faire des ménages pour pallier le manque d’argent et élever leurs enfants.
Son hobby : le jardinage qu’il pratique dans une parcelle de terrain allouée par la municipalité moyennant une somme modique. Ce qui lui permet d’avoir des moments de solitude et de se « mettre à l’abri » d’une épouse de plus en plus plaintive.
Il est heureux de ce qu’il a, pas envieux ni rancunier, bon vivant, sans ambition autre que de vivre simplement sa retraite. Ne se préoccupe pas du passé ni de l’avenir. Il est pourvu d’un solide système de défense qui lui permet de ne pas se sentir « travaillé » par la mort.
N’a jamais milité pour ou contre quoi que ce soit, aime avant tout sa tranquillité. Il refuse la confrontation. Il osera cependant se positionner au troisième acte, peut-être dire à sa femme qu’il l’aime encore assez pour accepter de la laisser partir si c’est ce qu’elle souhaite.
Dépend de son épouse pour tout ce qui est gestion de sa vie matérielle. Il lui a toujours remis la totalité de son salaire, puis de sa pension de retraite.

 

 

Rose Meyer, la secrétaire, interprétée par Marie-Christine Cordier :

55 ans. Vit dans un appartement en ville.
Elle est une femme bon chic bon genre comme doit l’être une secrétaire de ministre, élégante et raffinée mais pas « tape-à-l’œil » puisqu’elle a passé toute sa vie dans l’ombre du ministre dont elle a été l’égérie, la muse. Son langage est suranné, émaillé de mots obsolètes et de citations savoureuses qui trahissent son appétit de vivre jusque-là étouffé. Elle a un côté vieille fille qui la rend amère et en même temps un côté fleur bleue. Elle est catholique pratiquante, elle juge sévèrement le monde de la politique, du pouvoir et de l’argent.
Secrètement amoureuse de son patron depuis toujours, elle a tout sacrifié pour satisfaire l’objet de ses désirs, c’est-à-dire le ministre.
Sachant que le ministre va mourir, sa frustration est grande, ainsi que son amertume et sa colère.
Elle a mis de côté sa propre vie pour servir celle du ministre. Elle découvre qu’elle a fait « tout ça » pour rien. Elle n’a pas eu un seul mot de reconnaissance de la part de son patron qui semble ne l’avoir jamais regardée comme une personne mais plutôt comme un outil. Il ne s’est pas posé de questions concernant sa secrétaire, jugeant qu’allaient de soi sa fidélité et son dévouement. Peut-être pensait-il que les miettes de pouvoir qui retombaient sur elle, du fait qu’elle le côtoyait quotidiennement, devaient suffire à Rose.
Il a couché une ou deux fois avec elle il y a longtemps, par commodité, parce qu’il l’avait sous la main et qu’elle était consentante. Elle a cru naïvement que « c’était arrivé », se leurrant elle-même.
Rose se croit victime d’une profonde injustice. Ses regrets sont immenses premièrement de n’avoir pas pu être la compagne reconnue et aimée de cet homme, deuxièmement de ne pas s’être réalisée sur un plan perso (pas de mari, pas d’enfant). Elle a peur d’être passée à côté de sa vie.

 

 

Clémentine, la fille du ministre, interprétée par Marjorie Lagrange :

34 ans. Adulée par son père, Clémentine est une princesse qui lassée de son serviteur a fui le palais pour essayer de vivre par elle-même tout en se fuyant elle-même. Elle vit grâce à l’argent que son père lui verse sur un compte en Suisse mais prétend s’en passer et vivre « à la dure ». Elle multiplie les expériences extrêmes, se met constamment en danger, croit qu’il viendra encore la sauver à chaque mauvais pas. Fière, elle fanfaronne avec tout le monde. Elle a probablement une grande souffrance de n’avoir pas été vraiment écoutée dans son enfance mais ne parvient pas à se remettre en question ni à critiquer sa mère qui l’a pourtant abandonnée. Elle ne grandira qu’à partir de ce moment là : à l’acte 3, devant son père métamorphosé qui accepte alors la souffrance, sa propre finitude et exprime son amour, elle comprendra alors la fragilité et la valeur de la vie. Avec souffrance et humilité…

 

Hippolyte Renard, ministre de la Fin de Vie et de la Recherche de la Solidarité sur la Terre, interprété par Christian Ghinamo :

77 ans. Il a été à la tête d’une fortune considérable en majeure partie héritée de sa famille (son père était ambassadeur). Après des spéculations hasardeuses en bourse, il s’est retrouvé endetté au point que ses émoluments de ministre suffisaient à peine à rembourser ses dettes, ce qui explique que, atteint d’un cancer de la prostate (ben oui comme François, cela traduirait-il une peur de vieillir, de perdre son pouvoir, de devenir faible et impuissant ???), il se retrouve dans une maison de retraite minable bien que médicalisée.
Ancien homme d’affaires, ambitieux, autoritaire, séducteur, il a mené toute sa vie égoïstement en plaçant sa carrière politique au premier plan de ses préoccupations. A tel point que sa femme découragée par son absence et sa condescendance est partie sans que nul ne sache ce qu’elle est devenue.
Hippolyte se montre souvent méprisant envers son entourage. Pour lui, son cousin est un raté, sa cousine une romantique larmoyante.
Seule sa fille trouvait grâce à ses yeux. C’est pourquoi il l’a toujours gâtée, satisfaisant ses besoins avant même qu’elle ne les formule peut-être pour combler maladroitement l’absence de la mère de Clémentine (elle a fui le domicile conjugal alors que Clémentine était encore un bébé). De ce fait, Clémentine étouffée par un père dont elle était totalement dépendante a décidé de fuir elle aussi, signant ainsi l’échec de la vie familiale de son père.
Le ministre se mêle de tout, contrôle tout ce qu’il peut, il est persuadé que sans lui le monde ne va pas s’en sortir. Quelque part, il se prend pour un maître et il aime professer. En fait, sa confiance en lui est superficielle, elle masque son profond désespoir, sa peur et sa grande fragilité. Il craint par-dessus tout de montrer ses failles et ses faiblesses. Il ne pouvait pas se forger un costume d’homme moyen, il ne pouvait pas être autre chose qu’un homme important ayant du pouvoir. Ce super héros qui s’est cru longtemps un super-père fatigue son entourage, il n’intéresse plus personne car comment parler avec Superman ? On ne discute pas avec Superman, on l’écoute et on lui obéit, c’est tout. Au final, le ministre est un homme seul.
Aujourd’hui il croit n’avoir plus qu’un seul moyen de garder le contrôle : se murer dans un silence méprisant (ce qui facilite son rôle de catalyseur des émotions et des comportements des autres personnages de la pièce). Il ne se laisse pas prendre en charge, la faiblesse l’a toujours dégoûté. Il endure sa douleur physique en résistant et en se fermant à la vie. Il est de plus en plus démuni et vulnérable, il perd pied et éprouve un sentiment de désordre qu’il attribue à son entourage jugé par lui incompétent.
Pour Hippolyte Renard, le deuxième acte est celui de la prise de conscience, de la remise en question et de la prise de décision.
Le troisième acte est celui du retournement. Quelque part, le ministre meurt guéri : « la guérison véritable signifie être disponible, dans l’amour et la conscience, à tout ce qui va suivre »

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